Intervention au Conseil Départemental du 12 janvier 2021
Le débat consacré aux orientations budgétaires que nous avons ce matin ne se fait pas dans un contexte habituel.
D’abord il est le dernier de cette mandature et clôt donc d’une certaine manière une séquence politique.
Mais il s’inscrit aussi dans un moment particulier marqué par des difficultés majeures liées à la crise sanitaire que traverse pour notre pays depuis bientôt un an.
A eux seuls ces 2 motifs auraient dû donner au rapport qui est présenté le ton d’une démarche offensive et volontaire, trouvant sa traduction dans
- des propositions pouvant répondre aux défis qui nous attendent dans les prochains mois et les prochaines années, et je m’interroge sincèrement sur l’incomplétude du rapport qui est porté à la connaissance de notre assemblée avec tous les éléments que nous découvrons ce matin et qui ne sont pas abordés avec de détail dans le rapport présenté;
- des propositions préparant et accompagnant l’après crise sanitaire en atténuant par ailleurs les chocs de l’autre crise qui vient, la crise économique et sociale qui va durement frapper les franges de populations les moins nanties de notre territoire,
- des propositions, enfin, capables de traiter les cicatrices des longs mois que nos concitoyens viennent de passer confinés ; souvent isolés, à distance de leur famille, de leurs amis ou encore de leur collectif de travail. Nous savons tous que les populations les plus fragiles et les plus isolées ont vu leurs conditions de vie déjà précaires se dégrader. Le confinement a eu de fortes conséquences sur l’activité professionnelle et les restrictions d’activité qu’elles soient dues au chômage technique ou partiel, aux arrêts de travail pour maladie ou tout simplement au non-renouvellement de contrat ont toutes eu des conséquences importantes sur les revenus des ménages altoséquanais.
Comme vous le rappelez dans le rapport, l’ensemble des collectivités territoriales ont joué un rôle majeur dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19 et des dépenses utiles ont été engagées en ce sens. Nous les avons évidemment votées unanimement dans cette assemblée.
Ce faisant le Département était pleinement dans son rôle, celui d’un amortisseur social en temps de crise. Et parce qu’il devrait poursuivre ce rôle, on aurait pu s’attendre à de vraies orientations budgétaires d’après-crise (et donc d’un budget à venir dans le même esprit), aptes à favoriser les résiliences individuelles et collectives et aisément opérables car le Département des Hauts-de-Seine est riche et ne fait face à aucune difficulté financière.
Car ni la baisse de la dotation globale de fonctionnement de l’Etat substantielle, j’en conviens, mais pour partie justifiée, ni les divers mécanismes de péréquation qu’ils aient été ou pas en augmentation sur la période, n’ont entaché l’excédent budgétaire constant de près d’un demi-milliard d’euros constaté en moyenne depuis plusieurs années.
Par ailleurs si je partage avec vous la crainte de voir l’autonomie financière des collectivités locales fragilisée par la réforme fiscale actuelle (avec pour conséquence la perte de la taxe foncière sur le bâti pour le Département), j’ai plus de mal à croire à la sincérité de vos inquiétudes sur la perte de ce levier fiscal car jamais vous ne l’avez actionné, en tout cas pas ces 6 dernières années et pas même pour compenser la perte de certaines recettes.
Dernière remarque enfin, ou dernière interrogation plutôt avant d’aborder les grandes orientations que vous proposez : mais où est passée la fusion avec le 78 ?
Alors qu’elle était l’étendard, la « tête de gondole » de vos priorités année après année, nulle trace dans le rapport, pas un seul paragraphe sur cette lubie qui a déjà conduit au rapprochement de divers services des 2 départements et au transfert hors de cette assemblée de décisions qui lui incombait jusqu’alors.
Je n’ose penser que le retour à la raison ou tout simplement au respect des citoyens qui n’ont jamais validé cette fusion, soit le motif de cet oubli opportun voire plutôt opportuniste. Quoiqu’il en soit, à 4 mois du prochain scrutin départemental, les citoyens doivent savoir si la ligne a changé. Rien ne doit leur être caché et toutes celles et tous ceux qui siègent ici dans la majorité doivent assumer leur choix jusqu’au bout sur cette fusion car, quelque soit la bannière avec laquelle vous allez les unes et les uns concourir en juin prochain, vous serez toutes et tous comptables de ce choix politique fait sans aucun mandat des électeurs et au détriment de notre destin métropolitain.
J’en viens maintenant à vos orientations dans les champs de compétence de notre collectivité. Si la forme de leur présentation a changé cette année, elles restent en deçà des besoins et attentes des habitants.
Sur la question des solidarités, première des compétences du département et 1er axe des orientations présentées, les dépenses de fonctionnement sont en hausse de 70M€ mais essentiellement du fait de l’impact de l’augmentation des 3 allocations individuelles obligatoires (APA, RSA et Compensation Handicap)
A regarder les différents « parcours usagers » puisque c’est ainsi maintenant que sont présentées les modalités d’intervention, il me semble que d’autres choix auraient pu être faits.
Sur la Petite Enfance d’abord : quand on voit les difficultés de garde auxquelles ont à faire face les jeunes ménages, un coup de pouce aurait pu être opéré sur l’allocation BebeDOM afin de soutenir les familles qui n’ont pas recours à un mode garde collectif , trop souvent parce qu’il leur est tout simplement refusé vu la faiblesse de l’offre.
Sur la protection de l’enfance, les 18M€ qui sont rajoutés cette année seront sans aucun doute encore insuffisants pour rattraper le retard pris. L’opposition n’a eu cesse en effet de dénoncer ces dernières années les différents dérèglements sur ce champ de l’action départementale. Le dernier rapport de l’IGAS consacré à l’aide sociale à l’enfance dans les Hauts-de-Seine (paru en décembre 2020) vient largement confirmer nos positions.
C’est clairement un rapport à charge contre l’action du Département et la réorganisation de son Pôle Solidarités. Certes, si les succès ou les dysfonctionnements des politiques sociales départementales ne peuvent être portés au seul crédit des modalités d’organisation de ce Pôle, sa restructuration n’a pas été neutre dans la qualité du service rendu. Et comme le rappellent l’Inspection, la notion même d’aide sociale à l’enfance y semble maintenant diluée, voire effacée : on n’y retrouve plus aucun projet de service ni de médecin référent pour l’ASE, pas plus que de médecin responsable de la PMI.
Signe d’un mal-être croissant des personnels et d’une perte de sens de leur travail, près de 30% d’entre eux ont quitté leurs fonctions en l’espace de 18 mois. Nous avons pu déjà le dire ici et le rapport de l’IGAS le confirme là encore, le niveau de postes actuellement vacants, plus de 20% dans la moitié des services territoriaux, est particulièrement alarmant. Je rappelle au passage que cette question de la baisse du personnel dépasse d’ailleurs ce seul secteur. En effet les effectifs globaux du Département ont chuté de près de 14% depuis 2017 ce qui pose la question de la véritable attractivité de notre collectivité pour les agents publics territoriaux et interroge sur les effets des réorganisations internes entreprises.
Mais pour revenir à l’Aide sociale à l’enfance, compétence obligatoire du Département, elle doit de nouveau être considérée à la hauteur des enjeux : ceux d’apporter la protection nécessaire à tous les mineurs. Cela passe par un meilleur repérage des situations de risque et de danger et d’accorder des moyens adéquats à l’accueil dans des conditions dignes et bienveillantes.
Il n’est pas possible que les situations d’hébergements dans des hôtels à la sécurité douteuse continuent d’exister. De même, la préparation des jeunes à la sortie du dispositif doit s’appuyer sur l’augmentation du nombre de contrats jeunes majeurs avec des moyens dédiés.
De manière concomitante, ce sont aussi les actions de prévention qui devraient aussi être plus développées tout comme les dispositifs d’insertion tel que le fonds d’aide aux jeunes. Il faudrait développer les foyers de jeunes travailleurs qui sont des lieux de vie pour l’accès à l’autonomie des jeunes salariés, en apprentissage ou encore sortis de l’ASE.
Malheureusement les budgets qui y sont consacrés restent stables depuis trop d’années alors même que la précarité des jeunes n’a cessé d’augmenter et c’est aggravé avec la crise actuelle. Les inégalités au sein même de la jeunesse, les inégalités entre les jeunes se creusent et le Département n’y apporte pas de réponse.
Le traitement de cette précarité et de cette fragilité vaut également pour les bénéficiaires du RSA. Les 20M€ supplémentaires qui leur seront consacrés cette année sont essentiellement liés au versement de l’allocation dont le montant échappe au Département (et je n’oublie pas en disant cela les défaillances de l’Etat sur le manque de compensation de ces dépenses sociales obligatoires).
En revanche les dépenses d’accompagnement socioprofessionnel qui sont la marque spécifique de l’action départementale restent encore bien insuffisants.
Avec 7,8M€ consacrés au Plan départemental d’insertion et de retour à l’emploi pour un nombre d’allocataires passé à presque 33 800 en fin d’année dernière (et dont on peut facilement estimer qu’il a dû encore augmenter depuis), cela fait donc une dépense moyenne de 230€ par an et par allocataire RSA pour mettre en œuvre une politique d’accompagnement personnalisé.
Quelle misère pour un Département aussi riche que le nôtre ! Qui peut honnêtement penser que 230€ par allocataire peuvent suffire à offrir un accompagnement à tous les bénéficiaires pour leur permette d’accéder rapidement à l’emploi, notamment quand on connait les situations de fragilité importantes dans lesquelles sont certains d’’entre eux ? Sauf à se concentrer sur ceux qui sont les plus employables et laisser s’éloigner encore un peu plus vers le chômage de longue voire très longue durée, ceux qui cumulent les difficultés.
Deuxième grande orientation que vous affichez : celle de politiques efficientes orientée vers l’épanouissement des populations
On comprend immédiatement cet axe qui invite à mobiliser un minimum de ressources financières quand on regarde les dépenses allouées au fonctionnement des collèges.
Celles-ci fondent comme neige au soleil : 49M€ l’année dernière à peine 27M€ cette année. Cette baisse est pour le moins surprenante dans le contexte actuel, où les confinements répétés ont mis à mal la scolarité de nos collégiens sur 2 années scolaires consécutives, les familles étaient en droit d’attendre qu’un effort exceptionnel puisse être fait pour accompagner les élèves dans la remise à niveau qui sera nécessaire lors du retour à une situation normale.
Appuyer des actions de soutien, accompagner les équipes éducatives dans des dispositifs de remédiation scolaire au moins d’ici l’été et en préparation de la rentrée prochaine, voilà des actions d’après-crise qu’il faudrait soutenir mais dont on ne trouve aucune trace dans ces orientations générales.
Quelle aide effective va-t-on apporter aux familles et aux collégiens ? Comment traiter la question de l’orientation scolaire quand le parcours au collège aura été amputé de presque 2 années pour les élèves de 3ème par exemple ? Ces questions sont à discuter en partenariat avec l’Education nationale et le Département ne peut s’en désintéresser.
L’action du Département devrait aussi être plus volontaire sur un autre volet : celui du logement social et étudiant. Dans les Hauts-de-Seine ce sont presque 108 000 demandes de logements sociaux (hors demandes de mutation) qui, en début d’année dernière, restaient en souffrance. Face aux difficultés actuelles à se loger que rencontrent jeunes et moins jeunes, le Département doit s’engager plus largement dans le soutien à la production de logements sociaux certes dans les villes aujourd’hui encore carencées mais aussi dans les autres villes. Et Cela devrait passer aussi par un soutien au développement du parc de Hauts-de-Seine Habitat dont vous baisse le financement cette année de plus de 2M€
Sur les politiques d’attractivité et d’environnement qui constituent vos 3èmes grandes orientations et plus particulièrement sur les mobilités, il faut saluer la prolongation de l’effort qui est fait sur les transport en commune et sur la requalification d’un certain nombre de routes départementales.
Pour autant, nous ne pouvons que regretter le manque d’efforts allant dans le même sens pour faire de notre territoire, un territoire 100% cyclable. Le vélo s’est imposé comme le mode de déplacement du déconfinement et nous avons tous pu constater dans nos villes, la très forte hausse de la fréquentation de certains axes cyclables. Rien sur les mobilités douces n’est réellement proposé dans vos orientations. Il faudrait que le Département pérennise au maximum le tracé des « coronapistes » qui ont été mises en place, tout cela dans le cadre d’un Plan Vélo qui pour le moment fait défaut, et travaille avec les territoires à un réseau d’aménagements cyclables complet permettant un maillage structuré des Hauts-de-Seine.
Monsieur le Président, cette année particulière aurait mérité un projet pour les Hauts-de-Seine à la hauteur du besoin de solidarité grandissant que réclament nos concitoyens pour faire face à la crise sanitaire, économique et sociale. Nous en avons les moyens, reste à trouver la force et l’ambition politiques pour y répondre de manière spécifique et non en reconduisant les mêmes schémas.
A y regarder de près le compte n’y est pas sur beaucoup de volets. Tant sur l’insertion professionnelle, sur les aides à destination de la jeunesse, sur le soutien à la réussite éducative.
Cela reste un projet attentiste quand il aurait fallu apporter des réponses novatrices et réparatrices à la crise actuelle.
Pour un dernier budget de mandature, on aurait espéré plus d’audace et d’ambition.